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ENTRETIEN AVEC DIDIER RUIZ

ENTRETIEN AVEC DIDIER RUIZ
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Le metteur en scène revient sur la création de "Mon amour"

L’AMOUR ET LA MORT
Après Une longue peine en 2016, TRANS (més enllà) en 2018 et Que faut-il dire aux Hommes ? en 2020, j’ai envie d’un tournant. 
Le moment est venu pour moi d’explorer de nouveaux langages, d’inventer une forme hybride, un spectacle avec fiction et documentaire, avec acteurs et non acteurs. Pour cela, j'ai demandé à Nathalie Bitan, une complice de longue date, d'écrire un texte de théâtre s'inspirant de la fin de vie de sa propre mère.

Mon amour parle de l’amour et de la mort. La question de la fin est toujours là. Le père, la mère qui va partir mais aussi le conjoint, la compagne. Un double mot fin qui apparaît. Pour le conjoint, cinquante ans d’histoire qui se terminent. Une absence qui met un terme à une vie à deux. Pour la fille ou le fils, une mutation, un passage d’un statut à un autre. Une nouvelle place, un nouvel espace. Comment dit-on ces moments ?

Comment aborder au théâtre, ce moment d’une grande concentration d’émotions… comment parler de la maladie et de la mort avec des images artistiques, comme durant des siècles, les artistes l’ont fait avant que notre siècle nous éloigne à jamais de ces réalités ? Mon amour parle de fin de vie mais aussi d’amour car les deux sont intimement liés. La mort est trop souvent un sujet tabou, il faut en parler pour l’accepter, l’accompagner au mieux.

LA FICTION
C’est la troisième fois que je demande à Nathalie Bitan d’écrire pour le plateau. Un solo tout d’abord, Madeleine en 2010, un duo Si on se disait tout, on n’aurait plus rien à se dire en 2012. Nathalie me saisit toujours avec sa grande sensibilité, son goût des mots, son sens du jeu et de la musique. Entre rêve et réalité, elle navigue librement dans son univers à la fois doux et aigre.

« Mon amour parle de fin de vie mais aussi d’amour car les deux sont intimement liés. La mort est trop souvent un sujet tabou, il faut en parler pour l’accepter, l’accompagner au mieux. »

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LA PAROLE DOCUMENTAIRE
Ici se croisent et se frottent le format classique des scènes écrites et des dialogues entre les acteurs et une composante réelle : à savoir l’intervention d' « experts » de la mort : un médecin, une psychologue, un philosophe. Lors d’un travail en amont avec chacun d’entre eux, sur le principe de la parole accompagnée (une parole libre, encadrée mais qui ne passe jamais par l’écrit), ils interviennent à tour de rôle, suivant un calendrier de tournée établi en amont. Le format d’intervention : cinq minutes. Trois fois durant le spectacle. Comme une fenêtre sur le réel qui s’ouvre avec un point de vue personnel et professionnel de ces experts. Ils apparaissent sur le plateau dans un espace scénographique différent et identifié. C'est un écho, une illustration ou un contrepoint entre deux scènes de la fiction.

LE CHOEUR
Une troisième composante à laquelle je suis attaché : apparait à la fin, quand tout est dit, une assemblée sortant de l'ombre. Ses membres s'adressent à nous, vivants, pour nous demander de ne pas les oublier, pour nous dire qu’ils nous attendent… Les participants sont issus d’un atelier réalisé en amont et in situ à chaque date de tournée. 
Cette pièce est nourrie et inspirée d’œuvres marquantes : je pense au film Les choses de la vie de Claude Sautet et plus récemment à Amour de Michael Haneke. Je me souviens d’une mise en scène de Jorge Lavelli au théâtre de la Colline qui m’avait profondément touché, Une visite inopportune, ou bien au spectacle d’Alain Platel et Fabrizio Cassol, Requiem pour L, qui montre une femme en train de mourir : bouleversant et puissant. La mort est rarement représentée au théâtre et les vieux acteurs souvent mis de côté. Ce spectacle met la mort en lumière. Il s’agit de la célébrer de façon vivante.

« L’effet que peut avoir cette pièce, c’est peut-être de nous rappeler qu’on n’est pas là pour très longtemps et que dans le fatras du monde, il faut aller à l’essentiel. »

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